Des épines dans la paix entre les sexes
Chez certains insectes, l'organe sexuel des mâles est recouvert d'épines qui blessent les femelles lors de l'accouplement. Pourquoi de telles armes sexuelles ont-elles été sélectionnées par l'évolution ?
Jean-Jacques Perrier
Chez les animaux, certaines adaptations se sont répandues dans les populations parce qu'elles favorisent la reproduction sexuée. Ainsi, le succès reproducteur des mâles dépend d'adaptations qui leur permettent d'assurer des accouplements suffisamment fréquents pour féconder un grand nombre d'ovules. On peut donc s'interroger sur le sens évolutif de dispositifs portés par les mâles, tels que les épines génitales, qui blessent la femelle lors de l'accouplement. Des chercheurs suédois ont étudié un coléoptère modèle, la bruche à quatre taches (Callosobruchus maculatus), un ravageur de légumineuses en Afrique : les mâles dont les épines génitales sont les plus longues fécondent davantage d'ovules.
Chez les insectes, les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles
successifs. Elles sont dotées d'une spermathèque, qui leur permet de
conserver longtemps les spermatozoïdes. Chez certaines libellules, des
épines et barbillons situées à l'extrémité de l'organe sexuel
permettent aux mâles d'éliminer le sperme des rivaux qui les ont
précédés. L'intérêt adaptatif des épines semble clair. Dans d'autres
cas, des chercheurs ont supposé qu'en blessant le conduit génital
femelle lors de l'accouplement, les mâles diminuent le risque que la
femelle s'accouple avec des rivaux ; ils protégeraient ainsi leurs
spermatozoïdes déjà présents dans la spermathèque. C'est l'hypothèse du
« dommage adaptatif ». Toutefois, ils diminuent aussi leurs chances de
reproduction, la femelle blessée risquant de pondre beaucoup moins
d'œufs.
Le cas de la bruche à quatre taches s'explique par un
autre scénario, selon l'équipe de Göran Arnqvist, de l'Université
d'Uppsala. L'organe sexuel du mâle est lui aussi armé d'épines qui
endommagent la paroi du conduit génital de la femelle durant la
copulation. Parmi 13 populations de bruche, les chercheurs ont examiné
les corrélations entre la disposition et la longueur des épines
génitales, les dommages causés aux femelles (par dissection du conduit
copulatoire et analyse d'images) et le succès dans la compétition entre
spermatozoïdes, mesuré par le nombre d'œufs pondus.
Ils ont
vérifié que les dommages causés au tractus génital femelle sont bien
liés à la densité et à la longueur des épines génitales mâles. Mais le
fait surprenant est que les mâles ayant les épines génitales les plus
longues réussissent mieux dans la compétition spermatique. Autrement
dit, plus les dommages aux femelles sont grands, plus les chances que
leurs spermatozoïdes fécondent des ovules sont importantes.
L'explication la plus probable est que les épines fournissent une
accroche interne qui permet le dépôt de sperme dans un site optimal de
l'appareil génital femelle.
Du point de vue de la sélection
naturelle, l'avantage des épines pour le mâle prédominerait donc sur
les inconvénients pour les femelles. Mais les femelles des bruches
n'ont guère le choix car, selon une étude publiée en 2007 par Martin
Edvardsson, un ancien étudiant de G. Arnqvist, elles s'accouplent
d'autant plus qu'elles sont déshydratées, semble-t-il pour récupérer
l'eau contenue dans l'éjaculat de leur partenaire ! L'accouplement
serait pour ces femelles un moyen de survie dont le prix à payer serait
d'être fécondée par un organe sexuel bardé d'épines. Il semble
heureusement que ce soit une stratégie peu répandue dans le règne
animal...
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