Empathie : la fin des neurones miroirs ?
Ressentir la souffrance physique d'autrui passe par les neurones miroirs, mais aussi par l'évaluation d'une douleur morale.
Sébastien Bohler
Les neurones miroirs sont des stars des neurosciences. Invoqués depuis une dizaine d'années pour expliquer la plupart des mécanismes de communication émotionnelle, d'imitation, d'empathie ou de compassion chez l'être humain comme chez d'autres animaux, ils véhiculent un concept aussi simple que séduisant : ces neurones ont la particularité de s'activer aussi bien lorsque nous faisons quelque chose, que lorsque nous voyons quelqu'un d'autre le faire. Facile, dès lors, d'expliquer les phénomènes d'empathie : si une personne en voit une autre pleurer ou rire, ses neurones miroirs s'activent en voyant les distorsions du visage de son vis-à-vis, et ce sont les mêmes neurones qui s'activent lorsque cette personne rit ou pleure elle-même. Elle ressent alors le fait de rire ou de pleurer.
Cette théorie, aussi séduisante soit-elle, commence à donner quelques signes de faiblesse. Récemment, le neuroscientifique Nicolas Danziger, de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a réalisé des expériences qui montrent qu'il faut aussi, vraisemblablement, un intense travail mental de représentation et d'imagination de « ce que l'autre ressent », qui va bien au-delà qu'un simple mimétisme automatique reposant sur les neurones miroirs.
Prenons l'exemple de la perception de la douleur d'autrui. Selon la
théorie fondée sur les neurones miroirs, le cerveau reproduirait
l'activité électrique liée à la douleur, si bien qu'un observateur
accéderait à l'expérience de son vis-à-vis en ravivant des bribes
d'expériences douloureuses du passé. Oui, mais N. Danziger a montré que
des personnes insensibles à la douleur (en raison de mutations
génétiques) parviennent fort bien à évaluer le degré de souffrance
d'autrui à partir de l'expression des visages. Elles le font
nécessairement sans raviver des sensations douloureuses qu'elles
auraient éprouvées, puisqu'elles en sont dépourvues.
En fait, N.
Danziger a montré que chez les personnes insensibles à la douleur, la
capacité à évaluer la souffrance d'autrui est reliée à un score
psychologique d'empathie, évalué au moyen de questionnaires portant,
par exemple, sur les sentiments de pitié ou le désir de venir en aide à
autrui dans certaines situations. Ce score d'empathie est lui-même
relié à l'activité d'une aire cérébrale nommée cortex cingulaire
postérieur, dont la fonction est complexe, probablement à mi-chemin
entre abstraction et ressenti émotionnel. Devant une personne qui
souffre, peut-être ce cortex cingulaire postérieur « réfléchit-il » à
ce que signifie ce visage, en mobilisant des émotions négatives d'un
autre ordre que la douleur physique, peut-être des peines morales
auxquelles ces personnes sont sensibles.
Pour les personnes
insensibles à la douleur, imaginer la douleur d'autrui requiert par
conséquent un travail de nature cognitive, visible dans l'activation
d'une autre zone cérébrale dévolue aux représentations abstraites, le
cortex préfrontal ventromédian. Ce substrat de pure abstraction entre
en jeu lorsqu'on montre à ces personnes, non plus des visages de
personnes souffrantes, mais des scènes évoquant la douleur (un marteau
s'abattant sur un doigt, par exemple). Elles doivent alors faire
intervenir tout un raisonnement pour comprendre ce que l'on doit
ressentir dans de telles situations. Pour deviner ce que ressent
l'autre, ces personnes puisent sans doute dans leur expérience de la
souffrance morale.
Deviner ce que ressent l'autre, c'est
finalement ce que chacun de nous fait dans la vie quotidienne, plutôt
que de reproduire en miroir l'expérience subjective d'autrui. C'est
bien grâce à cela que l'on peut prendre en compte des souffrances que
l'on n'a pas vécues soi-même. Accepter l'autre, c'est peut-être essayer
de comprendre ce qu'il vit, tout en sachant qu'on ne ressentira jamais
vraiment la même chose.
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