Un poisson psychédélique
Une nouvelle espèce de poisson-grenouille, à la démarche chaotique, a été découverte en Indonésie.
Loïc Mangin
Une tête large à face plate de couleur orange, un motif complexe de lignes blanches et bleues... pas de doute, Histiophryne psychedelica mérite bien son nom. Il s'agit d'une nouvelle espèce de poisson-grenouille décrite par Theodore Pietsch, de l'Université de Washington, et ses collègues. L'animal a été repéré par des pêcheurs au large de l'île d'Ambon et de Bali, en Indonésie.
Le poisson est étrange à plus d'un titre. Outre sa robe, il se déplace de façon étonnante. Plutôt que de nager, il rebondit de rocher en rocher à l'aide de ses nageoires pectorales charnues qui ressemblent à des petites pattes. De plus, sa queue, un peu excentrée, rend sa démarche chaotique, proche de celle d'une balle en caoutchouc lâchée sur un terrain accidenté. Enfin, ses yeux situés sur le même plan de sa face (une autre caractéristique de l'animal) autorisent sans doute une vision binoculaire utile pour évaluer les distances. Cette face est prolongée par des excroissances fines des joues et du menton. Son statut de nouvelle espèce a été confirmé par des études de différents gènes, notamment ceux de la cytochrome oxidase-I et des ARN ribosomaux 16S.
Histiophryne psychedelica appartient à la famille des Antennariidés et à l'ordre des Lophiiformes dont plusieurs représentants chassent à l'aide d'un leurre (un prolongement charnu) disposé au bout d'une sorte de tige et qui attire les proies.
Des épines dans la paix entre les sexes
Chez certains insectes, l'organe sexuel des mâles est recouvert d'épines qui blessent les femelles lors de l'accouplement. Pourquoi de telles armes sexuelles ont-elles été sélectionnées par l'évolution ?
Jean-Jacques Perrier
Chez les animaux, certaines adaptations se sont répandues dans les populations parce qu'elles favorisent la reproduction sexuée. Ainsi, le succès reproducteur des mâles dépend d'adaptations qui leur permettent d'assurer des accouplements suffisamment fréquents pour féconder un grand nombre d'ovules. On peut donc s'interroger sur le sens évolutif de dispositifs portés par les mâles, tels que les épines génitales, qui blessent la femelle lors de l'accouplement. Des chercheurs suédois ont étudié un coléoptère modèle, la bruche à quatre taches (Callosobruchus maculatus), un ravageur de légumineuses en Afrique : les mâles dont les épines génitales sont les plus longues fécondent davantage d'ovules.
Chez les insectes, les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles
successifs. Elles sont dotées d'une spermathèque, qui leur permet de
conserver longtemps les spermatozoïdes. Chez certaines libellules, des
épines et barbillons situées à l'extrémité de l'organe sexuel
permettent aux mâles d'éliminer le sperme des rivaux qui les ont
précédés. L'intérêt adaptatif des épines semble clair. Dans d'autres
cas, des chercheurs ont supposé qu'en blessant le conduit génital
femelle lors de l'accouplement, les mâles diminuent le risque que la
femelle s'accouple avec des rivaux ; ils protégeraient ainsi leurs
spermatozoïdes déjà présents dans la spermathèque. C'est l'hypothèse du
« dommage adaptatif ». Toutefois, ils diminuent aussi leurs chances de
reproduction, la femelle blessée risquant de pondre beaucoup moins
d'œufs.
Le cas de la bruche à quatre taches s'explique par un
autre scénario, selon l'équipe de Göran Arnqvist, de l'Université
d'Uppsala. L'organe sexuel du mâle est lui aussi armé d'épines qui
endommagent la paroi du conduit génital de la femelle durant la
copulation. Parmi 13 populations de bruche, les chercheurs ont examiné
les corrélations entre la disposition et la longueur des épines
génitales, les dommages causés aux femelles (par dissection du conduit
copulatoire et analyse d'images) et le succès dans la compétition entre
spermatozoïdes, mesuré par le nombre d'œufs pondus.
Ils ont
vérifié que les dommages causés au tractus génital femelle sont bien
liés à la densité et à la longueur des épines génitales mâles. Mais le
fait surprenant est que les mâles ayant les épines génitales les plus
longues réussissent mieux dans la compétition spermatique. Autrement
dit, plus les dommages aux femelles sont grands, plus les chances que
leurs spermatozoïdes fécondent des ovules sont importantes.
L'explication la plus probable est que les épines fournissent une
accroche interne qui permet le dépôt de sperme dans un site optimal de
l'appareil génital femelle.
Du point de vue de la sélection
naturelle, l'avantage des épines pour le mâle prédominerait donc sur
les inconvénients pour les femelles. Mais les femelles des bruches
n'ont guère le choix car, selon une étude publiée en 2007 par Martin
Edvardsson, un ancien étudiant de G. Arnqvist, elles s'accouplent
d'autant plus qu'elles sont déshydratées, semble-t-il pour récupérer
l'eau contenue dans l'éjaculat de leur partenaire ! L'accouplement
serait pour ces femelles un moyen de survie dont le prix à payer serait
d'être fécondée par un organe sexuel bardé d'épines. Il semble
heureusement que ce soit une stratégie peu répandue dans le règne
animal...
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Empathie : la fin des neurones miroirs ?
Ressentir la souffrance physique d'autrui passe par les neurones miroirs, mais aussi par l'évaluation d'une douleur morale.
Sébastien Bohler
Les neurones miroirs sont des stars des neurosciences. Invoqués depuis une dizaine d'années pour expliquer la plupart des mécanismes de communication émotionnelle, d'imitation, d'empathie ou de compassion chez l'être humain comme chez d'autres animaux, ils véhiculent un concept aussi simple que séduisant : ces neurones ont la particularité de s'activer aussi bien lorsque nous faisons quelque chose, que lorsque nous voyons quelqu'un d'autre le faire. Facile, dès lors, d'expliquer les phénomènes d'empathie : si une personne en voit une autre pleurer ou rire, ses neurones miroirs s'activent en voyant les distorsions du visage de son vis-à-vis, et ce sont les mêmes neurones qui s'activent lorsque cette personne rit ou pleure elle-même. Elle ressent alors le fait de rire ou de pleurer.
Cette théorie, aussi séduisante soit-elle, commence à donner quelques signes de faiblesse. Récemment, le neuroscientifique Nicolas Danziger, de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a réalisé des expériences qui montrent qu'il faut aussi, vraisemblablement, un intense travail mental de représentation et d'imagination de « ce que l'autre ressent », qui va bien au-delà qu'un simple mimétisme automatique reposant sur les neurones miroirs.
Prenons l'exemple de la perception de la douleur d'autrui. Selon la
théorie fondée sur les neurones miroirs, le cerveau reproduirait
l'activité électrique liée à la douleur, si bien qu'un observateur
accéderait à l'expérience de son vis-à-vis en ravivant des bribes
d'expériences douloureuses du passé. Oui, mais N. Danziger a montré que
des personnes insensibles à la douleur (en raison de mutations
génétiques) parviennent fort bien à évaluer le degré de souffrance
d'autrui à partir de l'expression des visages. Elles le font
nécessairement sans raviver des sensations douloureuses qu'elles
auraient éprouvées, puisqu'elles en sont dépourvues.
En fait, N.
Danziger a montré que chez les personnes insensibles à la douleur, la
capacité à évaluer la souffrance d'autrui est reliée à un score
psychologique d'empathie, évalué au moyen de questionnaires portant,
par exemple, sur les sentiments de pitié ou le désir de venir en aide à
autrui dans certaines situations. Ce score d'empathie est lui-même
relié à l'activité d'une aire cérébrale nommée cortex cingulaire
postérieur, dont la fonction est complexe, probablement à mi-chemin
entre abstraction et ressenti émotionnel. Devant une personne qui
souffre, peut-être ce cortex cingulaire postérieur « réfléchit-il » à
ce que signifie ce visage, en mobilisant des émotions négatives d'un
autre ordre que la douleur physique, peut-être des peines morales
auxquelles ces personnes sont sensibles.
Pour les personnes
insensibles à la douleur, imaginer la douleur d'autrui requiert par
conséquent un travail de nature cognitive, visible dans l'activation
d'une autre zone cérébrale dévolue aux représentations abstraites, le
cortex préfrontal ventromédian. Ce substrat de pure abstraction entre
en jeu lorsqu'on montre à ces personnes, non plus des visages de
personnes souffrantes, mais des scènes évoquant la douleur (un marteau
s'abattant sur un doigt, par exemple). Elles doivent alors faire
intervenir tout un raisonnement pour comprendre ce que l'on doit
ressentir dans de telles situations. Pour deviner ce que ressent
l'autre, ces personnes puisent sans doute dans leur expérience de la
souffrance morale.
Deviner ce que ressent l'autre, c'est
finalement ce que chacun de nous fait dans la vie quotidienne, plutôt
que de reproduire en miroir l'expérience subjective d'autrui. C'est
bien grâce à cela que l'on peut prendre en compte des souffrances que
l'on n'a pas vécues soi-même. Accepter l'autre, c'est peut-être essayer
de comprendre ce qu'il vit, tout en sachant qu'on ne ressentira jamais
vraiment la même chose.
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Psychologie de la poupée vaudou
Sébastien Bohler
En octobre 2008, une étrange poupée vaudou envahit les devantures de certains magasins. Nicolas Sarkozy y est représenté sous les traits d'un petit bonhomme que les acheteurs pouvaient épingler à leur guise, avec cet argument de vente : « Vous détestez Nicolas Sarkozy parce qu'il est trop de droite ? Vous méprisez Nicolas Sarkozy parce qu'il n'est pas assez de droite ? Grâce au sortilège concocté par le spécialiste en sorcellerie Yaël Rolognese, vous pouvez conjurer le mauvais œil et empêcher Nicolas Sarkozy de causer davantage de dommages. » Le président de la République a été débouté de sa plainte contre le fabricant de poupées, qui a d'ailleurs commercialisé une poupée de Ségolène Royal.
Paradoxalement, la poupée vaudou de Nicolas Sarkozy était peut-être une bonne idée pour apaiser un climat social tendu. Des psychologues de l'Université d'Amsterdam et de celle de Tel-Aviv ont montré que le fait de « poignarder » la poupée vaudou d'une personne qu'on déteste permet de s'apaiser et d'éliminer les pensées agressives.
Contre le paludisme, aidons le moustique !
Les moustiques éliminent la quasi-totalité des parasites du paludisme qui les infectent. Une nouvelle piste pour lutter contre cette maladie ?
Loïc Mangin
Le paludisme tue chaque année entre 1,5 et 3 millions d'individus et près de 500 millions seraient atteints, essentiellement en Afrique sub-saharienne où l'on recense 80 pour cent des cas. La maladie est due à un parasite Plasmodium transmis par les moustiques du genre Anopheles lorsque les femelles piquent pour se nourrir de sang.
Le moustique injecte des parasites (à l'état de sporozoïtes) qui gagnent rapidement le foie où ils infectent les cellules. Là, le micro-organisme poursuit son cycle de vie et se développe en grosses « outres » (des schizontes) qui libèrent de jeunes mérozoïtes ; ils rejoignent le sang où ils pénètrent dans les globules rouges pour s'y multiplier. Les cellules sanguines sont détruites par vagues synchrones de mérozoïtes qui sont responsables des accès de fièvre et d'une anémie. À l'occasion d'une nouvelle piqûre, le parasite rejoint l'organisme d'un moustique piqueur pour achever son cycle : l'insecte est prêt à infecter un nouvel individu en deux semaines.
Cependant, la plupart des parasites sont éliminés par le système immunitaire du moustique. Seuls un ou deux résistent, mais ils suffiront à rendre l'insecte dangereux. George Christophides et ses collègues de l'Imperial College, à Londres, ont mis en évidence chez Anopheles gambiae les mécanismes par lesquels les parasites sont quasiment tous éliminés.
Le Prix Abel 2009 décerné à Mikhail Gromov
Le mathématicien franco-russe Mikhail Gromov, de l'Institut des hautes études scientifiques, a reçu aujourd'hui le Prix Abel 2009 pour ses contributions à la géométrie.
Philippe Ribeau-Gésippe
Né en 1943 en ex-Union soviétique, Mikhail Gromov est professeur permanent à l'Institut des hautes études scientifiques
- un institut français situé à Bures-sur-Yvettes, où quelques rares
mathématiciens et physiciens théoriciens de niveau mondial se voient
offrir des conditions de travail propices à la réflexion de longue
durée - depuis 1982 et citoyen français depuis 1992.
Il a reçu aujourd'hui de la part de l'Académie norvégienne des sciences et des lettres le prestigieux prix Abel,
qui récompense l'ensemble de sa carrière, en particulier « ses
contributions révolutionnaires à la géométrie », selon le comité de la
fondation Abel.
Les travaux de Mikhail Gromov portent en effet
principalement sur la géométrie, notamment la géométrie riemannienne et
la géométrie symplectique. Il a apporté un regard neuf sur de nombreux
objets utilisés en géométrie, aboutissant ainsi à des résultats
inattendus.
Il s'intéresse aujourd'hui aux recherches à
l'interface des mathématiques et de la biologie, champ qui s'est
développé depuis une dizaine d'année à l'IHES sous son impulsion. Ses
travaux récents portent par exemple sur le développement de modèles
géométriques du cœur du point de vue de l'électrophysiologie, visant à
identifier un fonctionnement anormal du cœur.
Le Prix Abel, créé
pour pallier à l'absence de prix Nobel en mathématiques, récompense
chaque année depuis 2003 un mathématicien pour l'ensemble de sa
carrière. Mikhail Gromov est le troisième français, après Jean-Pierre
Serre, en 2003, et Jacques Tits, en 2008 à recevoir cette distinction.
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Créer des peptides
Des chimistes canadiens ont réussi à modifier des peptides sur un acide aminé particulier, et ce dans des conditions « douces ».
Bénédicte Salthun-Lassalle
Les protéines, les molécules essentielles à la vie, sont de grands peptides, eux-mêmes étant des enchaînements de deux acides aminés ou plus, reliés entre eux par des liaisons amides. Or la chimie classique ne permet pas de synthétiser facilement des peptides, ni de les modifier sur un acide aminé particulier. Liang Zhao et ses collègues, du Département de chimie de l'Université McGill à Montréal, ont développé un procédé de chimie « douce » pour construire des peptides.
Actuellement, la fabrication d'un peptide suppose l'enchaînement un par un des acides aminés, et il n'est pas possible de transformer un peptide en un autre. Les chimistes canadiens ont réussi à fabriquer un « squelette » peptidique sur lequel ils peuvent ajouter les groupes chimiques – alkyle, alkynyle, indole et vinyle – caractérisant différents acides aminés non naturels. Cette réaction dite de couplage croisé et catalysée par le cuivre est capable de distinguer les différents carbones de l'enchaînement peptidique où se fixent ces groupes. Les conditions employées sont dites de « chimie verte », en ce sens qu'elles n'utilisent pas de solvants toxiques ou de produits pétrochimiques, et elles ont lieu à des températures faibles (de l'ordre de 100°C). Elles pourraient être appliquées dans tous les laboratoires désirant synthétiser ce type de peptides.
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Les fantômes de l'Everest
Des centaines d'alpinistes ont trouvé la mort sur les pentes du géant de glace. La faute à un syndrome neuronal : l'œdème cérébral des sommets.
Sébastien Bohler
La tête dans les nuages, 8 000 mètres de dénivelé sous les crampons, et une étrange sensation de perte de contrôle mental et physique. Sur les pentes de l'Everest, la concentration d'oxygène dans l'air est trois fois inférieure à sa valeur au niveau de la mer. Dès lors, pour les alpinistes qui s'attaquent au toit du monde, un fatal compte à rebours s'enclenche. Le manque d'oxygène perturbe l'agencement des membranes des vaisseaux sanguins, qui deviennent perméables, ce qui provoque une fuite vers l'extérieur du contenu des vaisseaux. Du liquide s'accumule dans la boîte crânienne, ce qui comprime les tissus cérébraux. La pensée devient confuse, la coordination est perturbée. Rien de plus dangereux quand on évolue dans des conditions périlleuses sur la neige ou sur la glace. Ce syndrome souvent fatal, c'est l'œdème cérébral de haute altitude. Il serait la cause de deux tiers des décès accidentels survenus sur les pentes de l'Everest, d'après une étude conduite par le médecin Paul Firth, de l'Hôpital de Boston.
De nouvelles espèces de bactéries... dans la stratosphère
Trois nouvelles espèces de bactéries ont été découvertes entre 20 et 41 kilomètres d'altitude par une expérience en ballon.
Philippe Ribeau-Gésippe
Dans les geysers,
au fond des océans, dans l'espace... Certaines bactéries prolifèrent
dans les milieux les plus extrêmes. C'est aujourd'hui dans la
stratosphère, la seconde couche de l'atmosphère terrestre, entre 12 et
60 kilomètres d'altitude, que Jayant Narlikar, de l'Organisation de
recherche spatiale indienne (ISRO), et ses collègues ont découvert de
nouvelles espèces bactériennes.
À l'aide d'un ballon
stratosphérique, des échantillons d'air ont été collectés à différentes
altitudes, entre 20 et 41 kilomètres, dans des tubes refroidis au néon
liquide, lesquels ont ensuite été parachutés et récupérés au sol.